DIEU - L’union à Dieu dans le christianisme oriental

DIEU - L’union à Dieu dans le christianisme oriental
DIEU - L’union à Dieu dans le christianisme oriental

«Dieu est devenu homme pour que l’homme puisse devenir dieu»: telle est, pour les Pères grecs, l’essence du christianisme. Présent dès le IIe siècle chez Irénée de Lyon, le vocabulaire de la déification (les substantifs 﨎諸靖晴﨟 et 﨎礼神礼晴兀靖晴﨟, les verbes 﨎礼羽益 et 﨎礼神礼晴﨎晴益) se précise au IVe siècle à Alexandrie et en Cappadoce, et se différencie de la problématique néo-platonicienne en opposant les thèmes de l’adoption divine ou de l’union au Dieu vivant à la perspective plotinienne d’une prise de conscience par l’esprit de son caractère divin.

1. Déification de l’humanité et de l’Univers

Selon les Pères grecs, l’homme a été créé pour participer de tout son être (y compris le corps) à la vie divine, et la communiquer à l’univers. Dans sa vocation originelle, il est «microcosme et microthéos », petit dieu, dieu en puissance (Grégoire de Nysse); par grâce, il est un dieu en devenir ou, comme dit de manière abrupte Basile de Césarée, «un animal appelé à devenir dieu». Son caractère déiforme s’exprime dans une riche et complexe théologie de l’image de Dieu: comme libre conscience personnelle, l’homme est cette image, qui s’inscrit aussi dans sa nature par un irréductible désir de Dieu. Nature et grâce se supposent mutuellement, la grâce étant toujours entendue comme incréée, théophanique.

Dans cette perspective, la racine du péché est une volonté d’autodéification qui, détachant l’homme de Dieu, jette l’existence universelle dans la séparation et dans la mort, au lieu de l’unifier et de la transfigurer en Dieu. Alors le Logos, auquel l’homme logikos (c’est-à-dire non seulement «raisonnable», mais, plus profondément, capable de dire consciemment le sens) est mystérieusement apparenté, assume volontairement la nature humaine déchue et, par la Résurrection, lui rouvre la communion avec Dieu. La rédemption ne constitue pas seulement la victoire sur le péché, la mort et l’enfer, elle signifie aussi la déification potentielle de l’humanité et de l’univers. Telle est l’intuition centrale de la christologie alexandrine, notamment celle d’un saint Cyrille au Ve siècle: en Christ, le pneuma (qui désigne à la fois le Saint-Esprit et la présence divine qu’il communique) s’est uni à la chair, désormais déifiée et déifiante. Les conciles œcuméniques et Maxime le Confesseur dans sa grande synthèse christologique (doctrine de la «communication des idiomes») ont précisé que cette déification n’évacue pas l’humain, mais l’accomplit dans la plénitude de la divino-humanité (la « théandrie » des philosophes religieux russes). Cette chair déifiante s’offre aux hommes dans l’Église comme musterion (sacrement) du Ressuscité, et d’abord dans le baptême et l’eucharistie: les Pères grecs ont interprété de la manière la plus réaliste les grandes affirmations pauliniennes et johanniques sur notre incorporation ontologique au Dieu-homme, sur notre filiation dans le Fils, qui font que nous participons à la vie trinitaire, à la lumière, à l’amour, à tous les Noms divins, lesquels sont autant de modalités d’une présence, celle du Père par le Fils dans le Saint-Esprit. En Christ, le monde est secrètement «buisson ardent» (Maxime le Confesseur) et nous sommes embrasés du même feu par l’eucharistie: «Tremblant, je communie avec le feu... Par moi-même, je ne suis que paille, mais, ô miracle! je me sens soudain embrasé comme jadis le buisson ardent de Moïse» (Syméon le Nouveau Théologien, prière avant la communion).

2. «Devenir Esprit»

Dans l’Église, le Dieu vivant déverse ses énergies sur les créatures par l’intérieur d’elles-mêmes et les déifie à la mesure de leur libre amour, un amour inséparable de l’ascèse, de la prière, du service et d’une connaissance de tout l’être, la «sensation de Dieu». Peu à peu, l’homme «devient Esprit» (Jean, III, 6), non par une dématérialisation, mais par une illumination de toutes ses facultés, par une transfiguration des sens qui se transforment dans le Souffle «vivifiant» en «sens spirituels». Le «Dieu s’est fait homme pour que l’homme puisse devenir dieu» se précise en «Dieu s’est fait porteur de la chair pour que l’homme puisse devenir porteur de l’esprit (pneumatophore )». Par un processus de mort-résurrection immanent au mystère pascal, l’homme unifie peu à peu sa conscience et son «cœur», reconstitue dans le feu de la grâce ce «cœur-esprit», ce «cœur intelligent», centre d’intégration de tout son être, et qui devient ainsi le «lieu de Dieu». La «garde du cœur», grâce à l’invocation du nom de Jésus, permet de pénétrer l’inconscient, d’exorciser et de métamorphoser l’énergie vitale. La conscience plongée dans l’«abîme du cœur» se dilate simultanément jusqu’aux confins de l’univers qu’elle offre à Dieu; étant dès lors microthéos , l’homme devient aussi microcosme, prêtre du temple cosmique sur l’autel de son cœur. Le cœur-esprit s’embrase en s’emplissant de la lumière divine, les saints «deviennent Esprit et voient dans l’Esprit», d’une vision qui est communion au Christ, face du Père. Alors «ils ont seulement conscience d’être lumière et de voir la lumière qui transcende toute créature» (Grégoire Palamas). La déification est donc une participation réelle , ontologique , à la divinité : «Ceux qui participent aux énergies [...], Dieu en fait des dieux sans commencement ni fin, par la grâce» (Palamas), mais à l’intérieur d’une communion : la déification introduit à une intériorité réciproque, elle-même fondée sur la réciprocité absolue qui s’inscrit dans la divinité trine et une. C’est pourquoi l’homme qui «devient Esprit» est aussi communion, il expérimente et manifeste la «consubstantialité» en Christ de tous ses semblables. Il actualise et hâte la Parousie, ce retour du Christ dans la gloire, lorsque l’humanité sera transfigurée dans le corps même du Dieu-homme, et que l’histoire et le cosmos entreront dans l’éternité. C’est pourquoi l’homme déifié prophétise et guérit, allège, par des miracles parfois, l’ambiance humaine et cosmique, pacifie l’existence, et surtout discerne les esprits, ce qui lui permet d’exercer une paternité spirituelle libératrice...

3. Éléments de comparaison avec l’Occident et l’Asie

C’est dans l’Orient chrétien, dans la tradition palamite et philocalique de l’orthodoxie, que ces perspectives ont trouvé leur plein développement. Au XIVe siècle, Grégoire Palamas a montré comment l’intériorité et la transcendance s’articulent dans le cœur-esprit déiforme: le Dieu vivant transpersonnel (et non impersonnel) se rend totalement participable dans ses «énergies» tout en restant totalement inaccessible dans sa «suressence». Au XIXe siècle, en Russie, la transfiguration de Séraphin de Sarov a souligné «expérimentalement» que le but de la vie chrétienne est l’«acquisition déifiante du Saint-Esprit ».

L’Occident chrétien, sans ignorer cette expérience, ne lui a pas donné une expression aussi explicite, faute, peut-être, d’une pneumatologie suffisamment développée. Thomas d’Aquin voit surtout dans la déification une métaphore et insiste sur la grâce comme «effet créé»: structure caritative, explorée dans son inscription éthique plus que dans sa source déifiante. La mystique augustinienne et ses reprises modernes insistent surtout sur «Dieu et mon âme», laissant de côté la transfiguration du corps et l’assomption cosmique. La mystique rhénane de la fin du Moyen Âge est plus proche de la théôsis orientale, mais, faute d’une expression théologique appropriée, risque de se réduire à un monisme.

La déification selon l’Orient chrétien se distingue aussi de la perspective des spiritualités de l’Asie, de l’Inde surtout, qui aboutissent à une intériorité solitaire où tout se résorbe. Certes le courant néo-platonicien, qui relève de la spiritualité asiatique (caractère incréé de l’intellect, déification par connaissance du Soi), a pénétré l’hellénisme chrétien par Origène et Évrage. Cependant, il s’est trouvé à la fois conjuré et assumé dans la lumière du mystère trinitaire, mystère de l’unité absolue dans la diversité absolue, révélation de la personne appelée non à s’abolir, mais à se déifier dans une communion universelle.

Encyclopédie Universelle. 2012.

Игры ⚽ Нужно сделать НИР?

Regardez d'autres dictionnaires:

  • Homosexualité dans le christianisme — Sodoma (Giovanni Antonio Bazzi), Saint Sébastien, 1525, Florence, palazzo Pitti[1]. Traditionnellement, les différentes Églises chrétiennes considèrent les actes homosexuels comme des pratiques contre nature, des péchés. Est péché « une… …   Wikipédia en Français

  • Christianisme biblique — Christianisme « Chrétien » redirige ici. Pour les autres significations, voir Chrétien (homonymie). Christianisme Religions abrahamiques (arbre) …   Wikipédia en Français

  • Christianisme de Paul — Christianisme « Chrétien » redirige ici. Pour les autres significations, voir Chrétien (homonymie). Christianisme Religions abrahamiques (arbre) …   Wikipédia en Français

  • Christianisme occidental — Christianisme « Chrétien » redirige ici. Pour les autres significations, voir Chrétien (homonymie). Christianisme Religions abrahamiques (arbre) …   Wikipédia en Français

  • Christianisme paulinien — Christianisme « Chrétien » redirige ici. Pour les autres significations, voir Chrétien (homonymie). Christianisme Religions abrahamiques (arbre) …   Wikipédia en Français

  • Christianisme populaire — Christianisme « Chrétien » redirige ici. Pour les autres significations, voir Chrétien (homonymie). Christianisme Religions abrahamiques (arbre) …   Wikipédia en Français

  • DIEU — LE TERME «Dieu» (au singulier et avec une majuscule) renvoie dans notre culture pénétrée de christianisme à l’affirmation monothéiste de l’Ancien et du Nouveau Testament (la Bible juive, plus les premiers écrits chrétiens que les Églises tiennent …   Encyclopédie Universelle

  • Union Européenne — Pour les articles homonymes, voir Europe (homonymie) et UE (homonymie). Union européenne (*) …   Wikipédia en Français

  • Union europeenne — Union européenne Pour les articles homonymes, voir Europe (homonymie) et UE (homonymie). Union européenne (*) …   Wikipédia en Français

  • Union européen — Union européenne Pour les articles homonymes, voir Europe (homonymie) et UE (homonymie). Union européenne (*) …   Wikipédia en Français

Share the article and excerpts

Direct link
Do a right-click on the link above
and select “Copy Link”